[Source : Casus Belli HS n°9]
Clodius et non Claudius, qui était pourtant son vrai nom. Ce jeune patricien dévoyé, qui ne recule devant rien pour se rendre populaire auprès de la plèbe, a modifié l'orthographe de son nom pour le rendre conforme à la prononciation populaire (apparemment du style accent parigot). Catherine Salles nous raconte l'affaire dans un article du n0 163 de L'Histoire. Clodius donc, s'était surtout signalé à l'époque par des méfaits plus abominables les uns que les autres. Officier en Orient sous Lucullus, son comportement pousse des soldats à la rébellion. En Gaule, adjoint du gouverneur Muréna (gouverneur de Narbonnaise sans doute), il en profite pour perpétrer divers délits. A Rome, il recrute une troupe d'émeutiers dans les bas quartiers, profane les cérémonies religieuses, et on murmure qu'il aurait des relations incestueuses avec sa soeur, la belle Clodia, épouse de Lucullus! Qu'un tel homme ait pu se faire élire questeur (magistrat chargé des finances ) est révélateur de l'état de décrépitude des institutions romaines de l'époque.
UN AMANT DANS LE PLACARD
Bref, l'affreux Clodius s'introduit
le 4 décembre -62 av. J-C. dans la maison de César, alors Grand
Pontife, où se déroulent les cérémonies strictement
féminines en l'honneur de Bona Dea, sous la direction théorique
de l'épouse du maître de maison, Pompéia, et sous l'autorité
réelle de la mère du grand Jules, Aurélia. Déguisé
en femme, Clodius est reconnu au timbre de sa voix, pourchassé par
Aurélia dans les hurlements de ces dames, et s'échappe grâce
à la complicité d'une petite esclave (on verrait la scène
dans un péplum italien des années soixante, on n'y croirait
pas une seconde, pas vrai?). Mais tenez-vous bien : Si notre voyou a pris
tous ces risques, c'est pour retrouver discrètement Pompéia
en l'absence de son mari.
Enfin, c'est ce qu'affirme Aurélia (belle-mère
acariâtre, comme il se doit). Du coup, César divorce... mais
n'entame aucune action en justice contre Clodius. Hé oui : la politique
passe avant tout, et César ne va pas se brouiller avec l'un des membres
les plus en vue du parti des populares, son parti également, pour une
histoire de femme. Certes, César est un modéré et Clodius
un extrémiste, mais le premier a besoin du second pour bâtir
son avenir politique.
Par conséquent, pas de procès César
contre Clodius. Mais les optimates (le parti opposé aux populares)
ne vont pas laisser passer l'occasion d'attaquer l'un de leurs ennemis jurés,
qui s'est mis dans un mauvais pas: il risque bel et bien la mort ou l'exil!
Le Consul Pison est chargé de le mettre en accusation. Mais Pison est
un des obligés de Clodius. Il s'arrange, lors du vote de cette mise
en accusation, pour qu'elle soit rejetée, avec le concours de quelques
scrutateurs musclés et sans scrupules, qui ne distribuent aux votants
que des bulletins "Non" (là, ce n'est plus un péplum,
c'est du western!). Furieux, les optimates, entraînés par le
plus enflammé d'entre eux, Caton le jeune, reviennent à la charge
et la mise en accusation de Clodius est enfin votée.
DRÔLES DE TEMOINS ET DRÔLES DE JUGES
Le procès lui-même ne manque
pas de piquant. Les témoins à charge décrivent Clodius
comme le Grand Méchant Loup, mais les femmes présentes à
la cérémonie de Bona Dea ont du mal à reconnaître
le jeune homme : il faisait si sombre, n'est-ce pas... Et un ami de Clodius
affirme que celui-ci se trouvait, à cette date, hors de Rome. Mais,
manque de chance! Cicéron, membre très modéré
du parti des optimates et sur l'indulgence duquel Clodius pensait pouvoir
compter, affirme que Clodius s'est entretenu avec lui en ville ce jour-là.
Rage de l'accusé. Selon Plutarque, Cicéron aurait eu des relations
suspectes avec Clodia, ce qui lui aurait valu des scènes violentes
de son épouse: il aurait donc détruit l'alibi de Clodius, ce
qui le fâchait avec toute la famille, pour retrouver la paix conjugale.
Nous voici dans Feydeau, maintenant, mais allez simuler ça! Le compte
de Clodius serait-il réglé? Eh bien non! Crassus, le richissime
Crassus, achète une partie des juges et finalement, Clodius est acquitté
par trente et une voix contre vingt-cinq. Les juges ayant demandé des
gardes au moment du verdict, le vieux Catullus s'exclame: «Pourquoi?
Vous avez peur qu'on vous vole l'art que vous avez touché?» Triomphe
de Clodius et des populares. Quant à Cicéron, la partie va mal
tourner pour lui. En 58, il doit s'exiler à la suite d'un procès
déclenché par Clodius, qui s'emparera de ses biens !
Frédéric Bey, Casus Belli HS n°9